Notice du film
Titre :
Rigadin peintre cubiste
Métrage :
220 mètres
Année de production :
1912
Société de production :
Pathé frères
Société de distribution :
Pathé frères
Réalisateur :
Georges Monca (1888-1939)
Entre 1909 et 1920, Georges Monca réalise plus de 200 films de la série comique française Rigadin pour Pathé frères. Il dirige alors l’acteur Charles Prince, qui devient avec ce personnage récurrent l’une des premières vedettes comiques du cinéma muet français.
Acteur / Actrice :
Charles Petit-Demange alias Charles Prince (1872-1933) et Gabrielle Lange (1850-1914)
État et localisation du film :
Film Pathé n°5253.
Cinémathèque française.
Numérisation : Centre national du cinéma et de l’image animée.
Résumé et analyse du film
En 1912, Georges Monca tourne Rigadin, peintre cubiste, film de 9 minutes que le Bulletin Pathé n°29 résume de la sorte : « Élève du peintre Rondebosse, connu pour le moelleux et le fondu de sa peinture, Rigadin visite le premier Salon des Peintres cubistes qui est pour lui une révélation ! Conquis par les thèses nouvelles, réfutant les erreurs entretenues par des générations démodées, Rigadin apprend diverses vérités… cubistes ; à savoir que : 1° Il n’y a pas de surfaces rondes, 2° Un œuf est un losange, 3° La Terre est un cube. Quant à Rigadin, il veut marcher avec son siècle et décide de faire l’éducation de son œil… Dans ce but, il se convertit, ainsi que sa bonne, en un échafaudage de cubes. Malheureusement, notre prosélyte est fiancé à la fille de Rondebosse, ennemi déclaré de la nouvelle école. Comment concilier l’amour et le cubisme (sic). Rigadin y parvient en faisant de son maître un portrait magistral. Du coup, le maître est converti et Rigadin épouse Mlle Rondebosse, dont les contours pourtant, démentent hardiment les théories de son fiancé. »
Ce qui est intéressant dans Rigadin, peintre cubiste, c’est que l’apprentissage esthétique de Rigadin se manifeste par un glissement entre la peinture et son aspect vestimentaire, mais également entre la peinture et sa façon de se mouvoir. En effet, Rigadin se confectionne un costume cubiste, qui fait un peu penser à ceux du ballet Parade qui seront composés en 1917. Il en créera aussi un pour sa concierge : une véritable prouesse d’habiller avec des formes cubistes une femme avec des formes si girondes ! Puis Rigadin va se mettre à se déplacer avec des gestes mécaniques, tel un robot. Le deuxième point notable est que l’apprentissage artistique de Rigadin s’allie avec ses sentiments pour Mlle Rondebosse, la fille d’un peintre qui déteste la nouvelle peinture. L’onomastique est ici signifiante. Rigadin concilie alors amour et cubisme, sur fonds de toiles classiques revisitées, de la Joconde à Léda en passant par le cygne et Napoléon. Enfin, si les évolutions artistiques contemporaines ne sont pas souvent abordées à l’écran à l’époque, dans ce film, l’audace picturale cubiste fait intrusion de plein fouet dans le champ cinématographique. Formellement, le film est moins novateur : la réalisation est faite essentiellement de plans frontaux et d’une succession de longues séquences.
L’affiche du film est dessinée par Adrien Barrère (1874-1931). Peintre, lithographe et dessinateur humoristique, il est aussi affichiste pour le cinéma et le Grand Guignol. À partir des années 1910, Barrère illustre les comiques de Pathé, Max Linder et Rigadin notamment, et se démarque par son humour et par la dynamique qu’il insuffle à ses compositions. Ses affiches mettent en avant les acteurs de la firme, pour lesquels il crée une véritable identité visuelle permettant ainsi au public de les identifier en un coup d’œil. Pour Rigadin, peintre cubiste, Adrien Barrère a également peint les toiles visibles dans le film lui-même.
Réception du film
Rigadin, peintre cubiste est projeté dans la salle Omnia-Pathé, située 5 boulevard Montmartre dans le IIe arrondissement de Paris, du 30 août au 5 septembre 1912. Le Théâtre du cinématographe Pathé, qui deviendra l’Omnia-Pathé, est inauguré le 14 décembre 1906 et dirigé par Edmond Benoît-Lévy. La salle luxueuse compte alors 250 places et les tarifs des entrées vont de 0,5 à 4 francs, des promenoirs sur les côtés et à l’arrière de la salle jusqu’aux balcons des loges. Les séances se déroulent quotidiennement entre 14h30 et 18h, puis entre 20h30 et 21h30. La programmation est constituée uniquement de bandes Pathé, en échange de quoi les vues nouvelles sont livrées par la firme huit jours avant les autres établissements. L’orchestre est dirigé par Paul Fauchey et les bruitages sont réalisés par l’ancien chanteur de café-concert, Barat. Au printemps 1912, suite à une baisse des recettes, le comité d’administration décide de moderniser la salle et les travaux se font sans que les projections soient interrompues. Rigadin, peintre cubiste est montré dans ce contexte. En janvier 1913, bien que la décoration ne soit pas terminée, la nouvelle salle est inaugurée. Le lieu cesse d’être un cinéma en 1987.
En 1958 s’était tenue à la galerie Knoedler, située dans le VIIIe arrondissement de Paris, une exposition sur la revue littéraire et artistique Les Soirées de Paris, fondée par Guillaume Apollinaire, André Billy, René Dalize, André Salmon et André Tudesq. Une brochure-catalogue de 29 pages éditée pour l’occasion propose à la lecture d’une part la liste des documents exposés et d’autre part des textes d’André Billy et Guy Habasque, qui a notamment écrit sur la peinture cubiste. Cette publication nous apprend qu’un photogramme extrait de Rigadin, peintre cubiste faisait partie des documents montrés lors de cette exposition. Le film n’a pas été chroniqué dans Les Soirées de Paris mais Habasque explique que Rigadin était une série appréciée par les artistes de Montmartre et par les habitués du Lapin Agile, au premier rang desquels Apollinaire. De plus, le poète était un fervent défenseur du cubisme, comme en témoignent notamment ses Méditations esthétiques. Les Peintres cubistes (1913) et un article du 10 octobre 1912 paru dans L’Intransigeant : « Pour notation conforme ». Dans ce papier, Apollinaire met en scène une conversation entre deux femmes, l’une comprenant le cubisme, l’autre non. Quelques semaines seulement séparent les projections en salle de Rigadin, peintre cubiste et l’écriture de cet article…
Dans les années 1960, Pathé dépose beaucoup de négatifs nitrate à la Cinémathèque française. Henri Langlois apprécie la série Rigadin et en sauvegarde quelques-uns. Il laisse de côté Rigadin dompte sa belle-mère ou Rigadin et l’escalope de veau, pour privilégier Rigadin, peintre cubiste, nous apprend le journal de la restauration. En 1996, Rigadin, peintre cubiste a fait l’objet d’une restauration par la Cinémathèque française. La version actuelle contient neuf intertitres, créés et ajoutés à ce moment-là, et établis à partir du texte du Bulletin Pathé n°29. À l’époque ne devait en effet figurer qu’un insert, le carton d’invitation au premier salon des peintres cubistes, comme en atteste l’unique marque présente dans le négatif original.
Diffusion et circulation
- Paris – Le Théâtre du cinématographe Pathé, qui deviendra l’Omnia-Pathé : 30 août au 5 septembre 1912
- Grand Cinéma Pathé Omnia – Salle des fêtes : 30 et 31 août 1912 (séances à 8 heures et demies précises)
- Cinéma Pathé de l’Yonne : 6 octobre 1912
- Omnia-Pathé Alger : 21 au 24 octobre 1912
- Alhambra-Cinéma (Loire et Haute-Loire) : 17 décembre 1912
Bibliographie
Articles
- Bulletin Pathé, n°29 (1912).
- Ciné-Journal, n°209, 5e année (24 août 1912).
- L’Intransigeant (10 octobre 1912).
- Cinémathèque, n°17 (2000).
Ouvrages
- Guillaume Apollinaire, Les Peintres cubistes. Méditations esthétiques, Eugène Figuière & Cie Éditeurs, coll. « Tous les arts », 1913, 84 p.
- Les Soirées de Paris, Catalogue d’exposition, notices : Guy Habasque, préface : André Billy, Galerie Knoedler, 1958, 29 p.
- Jean-Jacques Meusy, Paris-Palaces ou le temps des cinémas (1894-1918), CNRS Éditions, 1995, 561 p.
- Collectif, sous la direction de Laurence des Cars, Apollinaire, le regard du poète, coédition Musées d’Orsay et de l’Orangerie, Gallimard, 320 p.