Au début de la guerre, compte tenu de l’évolution défavorable de la situation militaire, les événements favorisent le développement de rumeurs alarmantes. On parle des violences des troupes allemandes dans les régions envahies, de viols, de pillages, de massacres d’innocents et de mains d’enfants coupées. Certains de ces récits n’étaient pas dénués de fondements réels, les Allemands ayant effectivement commis de nombreuses exactions. Toutefois, à partir de faits authentiques, les représentations qui se propagent sacrifient souvent à l’affabulation outrancière. À ce titre, les atrocités contre les enfants constituent un sujet porteur pour la propagande car elles illustrent mieux que tout la barbarie de l’ennemi. C’est le cas de « l’enfant au fusil de bois », une histoire largement diffusée au début de la guerre sur différents supports (brochures, chansons, poèmes, dessins…), qui raconte comment un petit garçon, en zone occupée, et en l’absence de son père mobilisé, aurait été abattu froidement par un officier allemand après l’avoir menacé avec un jouet inoffensif.
Nous savons, depuis les travaux de l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, combien l’enfance, pendant la Grande Guerre, devint l’instrument d’une mobilisation culturelle sans précédent. Soulignons simplement que le cinéma ne fut pas en reste puisque de nombreux films furent consacrés à ce sujet. L’un des tout premiers, Le Fusil de bois, une production Pathé, a été réalisé par Henri Andréani en 1915, et son affiche est due à Louis Malteste (Jules Malteste ; Chartres, 1862-Paris, 1928). Le cadre bleu blanc rouge, sur son pourtour, lui confère un label presque officiel. Et le sous-titre, « Épisode de la campagne 1914-15 », renforce l’authenticité supposée du récit. La composition de l’affiche reprend sans doute une séquence du film aujourd’hui perdu. On y voit le grand-père du petit garçon assassiné agenouillé sur sa tombe en train de se recueillir, alors qu’à l’arrière-plan des soldats français rendent les honneurs à l’enfant disparu avec comme toile de fond un village dévasté aux maisons brûlées, traces tragiques de l’occupation ennemie. On distingue bien, disposés contre la croix de bois, le fusil et un petit cheval à roulettes, les deux jouets de l’enfant toujours bien mis en évidence dans chaque représentation picturale de cette histoire. On les retrouve, par exemple, sur la couverture d’une adaptation parue sous le titre 1914-1915 ! dans « la petite bibliothèque de la Grande Guerre », de Pascal Forthuny. Si ce n’est que le dessin de Maurice Neumont, pour la couverture, montrant le corps de l’enfant gisant à terre, est nettement plus violent que celui de Malteste pour le film. Il est vrai que les affiches sont alors soumises à une autorisation administrative préalable qui limite forcément la diffusion d’images choquantes. C’est d’autant plus vrai pour le cinéma, dont la portée inquiète les autorités qui, en conséquence, le contrôlent beaucoup plus en période de guerre. D’ailleurs, Le Fusil de bois fut censuré. Le syndicat des directeurs de cinémas de France organisa alors, le 17 avril 1915, au Palais des fêtes de Paris, en présence de plusieurs parlementaires, une projection privée pour attester d’un hiatus entre le pouvoir politique et la population. À lire le compte-rendu qu’en fait Ciné-Journal (n° 7, 1er mai 1915), à travers la mise en scène de cette histoire d’enfant martyr à l’écran, c’est l’ensemble de l’enfance française, elle aussi engagée dans la guerre, qui se trouve célébrée. Par conséquent, non seulement il ne faut pas interdire de tels films, mais au contraire les multiplier.