Dès le début des hostilités, les firmes cinématographiques veulent filmer les événements car l’arrière est impatient de voir ce qui se passe sur le front. Mais, dans un premier temps, les autorités militaires interdisent aux cameramen de s’approcher des zones de combats. Puis, sous la pression de personnalités du milieu professionnel, comme Léon Gaumont et Charles Pathé, le ministre de la Guerre, Alexandre Millerand, en accord avec l’État-major, décide de créer, en avril 1915, la Section cinématographique de l’armée (SCA) pour prendre des vues de la guerre avec l’aide de la Chambre syndicale française de la cinématographie. Chaque maison de production choisit alors un opérateur déjà mobilisé pour la représenter. Pathé, première société à avoir exploité l’actualité filmée en tant que telle en créant en 1908 le Pathé-Journal, imitée ensuite par la concurrence, désigne Alfred Machin, reporter aguerri mais aussi réalisateur de films de fiction.
Pour assurer la promotion de ces premières « vues officielles », comme on les nomme alors, des affiches sont créées. L’atelier Faria, fort productif et très lié à la société au coq gaulois, fidèle à son style puissant, raffiné et coloré, propose une composition très figurative, adaptée aux contraintes de l’affiche de cinéma destinée à frapper l’imagination du futur spectateur. Elle représente deux opérateurs militaires, en pleine action, notamment Alfred Machin en uniforme bleu horizon légèrement accroupi, qui tournent la manivelle de la main droite et opèrent un panoramique de la gauche, l’objectif de leur caméra braqué sur un champ de bataille. Installés dans les décombres d’une maison en ruine, ils filment une attaque se déroulant en contrebas dont les péripéties et les détails ne manquent pas : assaut de fantassins français baïonnette au canon, explosions, combat aérien et intervention d’infirmiers pour sauver les blessés. Le point de vue est idéal. Tout y est, il ne manque que l’adversaire que l’on ne voit pas. À part que tout est faux… Il est impossible, en effet, de filmer une telle scène. En dépit de l’engouement pour les images « prises sur le vif », dans les faits, les choses sont nettement plus compliquées, et les actualités peinent à montrer les réalités d’une guerre terriblement meurtrière. Les firmes privilégient les images rassurantes qui soutiennent le moral du pays. Ce n’est que le 1er juillet 1916, au cours de l’offensive de la Somme, que des cameramen sont autorisés à se rendre à proximité des lignes de feu pour filmer le début d’une attaque. Mais, pour des raisons à la fois technique (lourdeur et encombrement du matériel, obligation d’être debout…) et de sécurité, il n’est pas possible de suivre les soldats pendant l’assaut. Le combat reste donc invisible à l’écran, du moins dans les actualités. De même, à cause des risques évidents, les explosions d’obus sont filmées seulement de loin, comme le 27 juin 1915, lors du bombardement des crêtes du Reichackerkopf en Alsace. En effet, informé à temps du lieu de l’attaque, l’opérateur avait pu s’installer sur le toit d’une maisonnette pour filmer dans l’axe des positions ennemies.
Bibliographie
Laurent Véray, Avènement d’une culture visuelle de guerre. Le cinéma en France de 1914 à 1928, Paris, Nouvelles Éditions Place, 2019.