Philippe Soupault est le premier à répondre à l’appel aux poètes à se saisir du cinéma que Guillaume Apollinaire lance le 26 novembre 1917 lors de sa conférence « L’Esprit nouveau » dans la salle du Vieux-Colombier dans le VIe arrondissement de Paris. Il le fait par le biais de deux textes : l’un sur le cinéma titré « Notes 1 sur la puissance du cinéma » ; l’autre pour le cinéma titré « Poème cinématographique. Indifférence ». Écrits et datés de décembre 1917, ils sont publiés dans SIC le 25 janvier 1918 (fig. 1). En accueillant ces deux écrits dans sa revue, Pierre Albert-Birot répond lui aussi à sa manière à l’appel d’Apollinaire.

Les manuscrits de ces deux textes de Soupault ont été conservés. Il s’agit de mises au net ayant servi pour l’impression car elles portent des indications typographiques au crayon : interlignage, nombre de lignes, taille de la police, etc. Il n’est pas impossible que ces mentions soient de la main même d’Albert-Birot, ce que ne contredit ni l’analyse graphologique ni l’attitude connue d’un éditeur qui œuvrait seul et s’occupait des toutes les étapes éditoriales. Corrélativement, ces documents contribuent donc à appréhender l’histoire de l’édition de textes scénaristiques pendant la période 1908-1919.

Le manuscrit au net « Note 1 sur la puissance du cinéma » (fig. 2) renseigne, entre autres, sur la position du poète quant aux liens entre théâtre et cinéma en 1917. Ce dernier écrit en effet :

Cependant puisque les moyens que le cinéma met à disposition de l’artiste sont différents de ceux que lui fournit le théâtre, il importe donc que nous établissons une différence entre l’écran et la scène, que nous séparions l’art cinématographique de l’art du théâtre. C’est là le point important de cette première note.

Soupault a souligné cette idée de séparation de l’art cinématographique et théâtrale pour en appuyer encore le caractère indispensable. Cette typographie d’insistance ne sera pas conservée dans la version imprimée dans SIC.

Dans ce court texte, Soupault met bien en évidence la possibilité enfin offerte par le cinéma de se jouer de ce qu’il nomme « les lois naturelles » et de laisser ainsi libre cours à son imagination. Le cinéma est une source de renouveau de l’imaginaire, voilà là un élément important.

Sa puissance est formidable puisqu’il renverse toutes les lois naturelles : il ignore l’espace, le temps, bouleverse la pesanteur, la balistique, la biologie, etc. Son œil est plus patient, plus perçant, plus précis. Il appartient alors au créateur, au poète, de se servir de cette puissance et de cette richesse jusqu’alors négligées, car un nouveau serviteur est à la disposition de son imagination.

Le manuscrit au net de Philippe Soupault pour le cinéma a pour titre « Poème cinématographique. Indifférence » (fig. 2b). De ce premier coup d’essai scénaristique de Soupault pour le cinéma, Ado Kyrou écrira, dans Le Surréalisme au cinéma (p. 187), que c’est un texte « capital » car il s’agit « du premier scénario consciemment surréaliste ; qui se sert de tous les moyens nouveaux mis à disposition par la caméra ». En effet, dans ce dernier, le poète tente véritablement d’exploiter les nouvelles potentialités offertes par ce moyen d’expression, faisant notamment fi des règles spatio-temporelles :

Je gravis une route verticale. Au sommet s’étend une plaine où souffle un vent violent. Devant moi des rochers se gonflent et deviennent énormes. Je penche la tête et je passe au travers. J’arrive dans un jardin aux fleurs et aux herbes monstrueusement grandes. Je m’assieds sur un banc (…) Je suis sur un toit en face d’une horloge qui grandit, grandit tandis que les aiguilles tournent de plus en plus vite. Je me jette du toit et sur le trottoir j’allume une cigarette.

Concernant l’histoire de ces publications, signalons que ces deux textes seront reproduits dans le périodique hebdomadaire Le Film – dans lequel Henri Diamant-Berger s’efforce alors de légitimer la dimension artistique du cinéma en ouvrant ses colonnes à des écrivains – le 18 février 1918, avec l’annonce suivante (non signée mais peut-être est-elle de la plume de Louis Delluc) :

Notre confrère SIC, journal cubiste, consacre au cinéma une partie de son dernier numéro. Nous nous en voudrions de ne pas offrir à nos lecteurs cette littérature essentiellement sympathique à notre art. Nous n’en sommes pas, évidemment à ces réalisations futuristes ; mais il ne faut pas oublier que des écoles se créeront aussi dans notre art et que nous aurons un jour nos films cubiques. Préparons-nous à cette idée en savourant les notes et les poèmes cinématographiques de M. Philippe Soupault qui a bien raison de vouloir des poètes comme metteurs en scène. Ce n’est plus que sur la forme de la poésie qu’il s’agit de s’entendre. Si un metteur en scène désire tourner Indifférence, qu’il nous écrive aussitôt.

Ce ne serait pas la première fois d’ailleurs que les poètes seraient sollicités par Delluc. On sait par exemple qu’il avait écrit à Apollinaire pour lui demander l’autorisation d’éditer son poème « Avant le cinéma » dans Le Film.

Bibliographie

Article

  • Francis Vanoye, « Soupault cinéphile ? » dans Myriam Boucharenc et Claude Leroy, Présence de Philippe Soupault, Actes du Colloques de Cerisy, Presses Universitaires de Caen, 1999, pp. 307-319.

Ouvrages

  • Ado Kyrou, Le Surréalisme au cinéma, Ramsay, coll. « Poche Cinéma », 1993.
  • Philippe Soupault, Écrits de cinéma (1918-1931), Ramsay, coll. « Poche Cinéma », 1988.
  • Alain et Odette Virmaux, Les Surréalistes et le cinéma, Ramsay, coll. « Poche Cinéma », 1988.