
Laurent Véray
Professeur au département Cinéma et Audiovisuel de l'université Sorbonne Nouvelle
En histoire du cinéma, les grands programmes de recherche des quarante dernières années se sont surtout concentrés sur la période d’émergence du médium cinématographique et sur le régime d’attraction qui la caractérise.
D'autres travaux ont signalé le rôle primordial des années 1910 : une période dite d'institutionnalisation, où s’est mis en place le cinéma tel qu’on le connaît aujourd'hui au plan de ses structures économiques et industrielles. Outre le système de location des copies et le développement des salles spécialisées, la standardisation de la production, sous l’égide du modèle Pathé frères, marque un tournant essentiel dans la façon dont les films sont fabriqués et reçus, en accord avec un processus général de narrativisation. C'est ainsi qu'a émergé la conception classique qui gouverne encore l'essentiel de la production audiovisuelle : celle de la représentation d'un espace-temps continu, via le montage par raccords, au service d'un récit. Mais cette transition vers le cinéma classique – et la contribution déterminante des années 1908-1919 à l'industrialisation du média en France et dans le monde – reste largement à étudier. C'est ce que propose Ciné08-19. L'une des principales hypothèses du projet est que la période étudiée constitue un moment décisif de l'évolution du spectacle cinématographique au sein d'une industrie culturelle émergente.
Dans un premier temps, il convient de dresser un inventaire exhaustif des conditions d'écriture, de production, de réalisation, de diffusion et de réception de tous les films en France et dans son empire colonial. Dans un second temps, il s'agit de mener une réflexion heuristique approfondie sur cette période charnière à travers une exploration détaillée de multiples sources, film et non-film, dont une bonne partie était encore inaccessible jusqu'à une date récente. Ces deux axes se combinent avec la création d'une plateforme numérique, pour mettre en réseau les riches collections numérisées mais aussi pour valoriser leurs analyses problématisées.
Ciné08-19 se carctérise par une équipe interdisciplinaire et interégionale, constituée de chercheurs de six universités (Bordeaux Montaigne, École nationale des Chartes, Gustave Eiffel, Lille, Metz et la Sorbonne Nouvelle qui héberge le projet) et de représentants, conservateurs ou documentalistes, des institutions patrimoniales partenaires (Centre national du cinéma et de l'image animée, Cinémathèque française, Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense, Musée Albert-Kahn, BnF, BHVP, Gaumont-Pathé-Archives).
L'un des points saillants de Ciné08-19 est de repenser non seulement le rapport aux archives film et non-film et leurs usages en fonction des outils numériques, mais aussi l'exposé des résultats et la vulgarisation du savoir.
Notre recherche a débuté par le constat suivant : de vastes fonds archivistiques, numérisés ou non, s'ouvrent progressivement aux chercheurs mais sont encore peu traités. Dès lors, il nous a paru nécessaire de mener une réflexion heuristique approfondie sur cette période charnière à travers une exploration détaillée de ces multiples sources.
La démarche adoptée cherche à démontrer, d'une part les spécificités du marché des films en France, et d'autre part la richesse et la diversité du spectacle cinématographique entre 1908 et 1919, en s'appuyant sur l’étude de sources éclectiques et sur une méthodologie collaborative, fondée sur la nature pluri-institutionnelle du consortium. S'agissant des sources, nous distinguons les documents film et non-film. Si les premiers – négatifs et positifs (conservés notamment au CNC, à la Cinémathèque française, à l'ECPAD, au Musée départemental Albert-Kahn ou à Gaumont-Pathé-Archives) – sont évidemment attendus, nombre d'entre eux sont totalement inédits et nous éclairent sur les spécificités de la fiction et de la non-fiction. Les seconds – documents non-film – ont été jusqu'alors moins explorés, en partie à cause de leur dispersion dans une multiplicité de lieux d'archives, d'institutions publiques et de fonds privés. Partiellement numérisés, ils sont désormais accessibles et regorgent d'informations concernant des matériels divers : données administratives et économiques, catalogues des firmes, correspondances de producteurs et de cinéastes, scénarios de formes variées, carnets d'opérateurs, photographies de studios, presse locale, infra-locale et nationale, revues cinématographiques, corporatives, artistiques ou littéraires, programmes des salles, affiches et matériels publicitaires, documents de la sûreté et de la censure, etc.
Les approches convoquées pour étudier et croiser ces corpus relèvent de démarches distinctes associant notamment l'histoire, l'esthétique, la sociologie, l'économie, l'anthropologie, la génétique et la narratologie. De surcroît, nous avons développé une recherche interdisciplinaire étendue au-delà de l'espace parisien, car les régions, ainsi que les anciennes colonies, multiples et nécessairement hétérogènes, rassemblent des foyers de production et de diffusion ayant parfois leur propre particularité.
En plus des travaux classiques (journées d'étude, colloques, livres et articles scientifiques), nous avons accordé une place importante à la conception d'une plateforme en ligne. La mise en réseau des sources de l'histoire du cinéma s'accompagne de nouvelles questions théoriques et de pratiques innovantes qui déterminent tant les modalités de l'exploitation scientifique que celles de la mise en récit historique. La plateforme Ciné08-19 concrétise cette double dimension en tant qu'espace d’éditorialisation. Elle est adossée à la plateforme Garance mise en place par le CNC, aux portails Images défense de l'ECPAD et des Archives de la Planète du musée Albert-Kahn, ainsi qu'au site Gaumont-Pathé-Archives concernant la filmographie Gaumont de l'époque du muet.
Il s'agit, avec cet outil numérique bilingue (en français et en anglais), interactif et évolutif, de croiser les ressources documentaires film et non-film, et de produire une filmographie augmentée de références et d'analyses à géométrie variable selon les publics visés. La plateforme Ciné08-19 a été conçue à partir d'un cahier des charges établi en 2018 par une étudiante en Humanités numériques de l'École des chartes, Armâne Magnier, dans le cadre d'un stage financé par notre projet ANR. Réalisée par Jérémie Bancilhon de la société Go On Web, la plateforme Ciné08-19 est hébergée par Huma-Num pour en assurer la pérennité.
L'objectif est de mettre à disposition des chercheurs des corpus photographiques et cinématographiques (des films montés, mais aussi des rushes, de différentes nationalités, ayant été produits et/ou réalisés et/ou diffusés en France entre 1908 et 1919) et d'en proposer des présentations analytiques, sous forme de modules ou d'articles, qui mettent en avant leurs caractéristiques en relation avec des documents complémentaires (affiches et programmes, articles parus dans la presse de l'époque notamment) via un travail d'éditorialisation de ces contenus numérisés. Des outils pour réaliser des ateliers ou des expositions virtuelles sont également accessibles aux enseignants du supérieur et du secondaire qui peuvent les utiliser avec leurs élèves grâce à des niveaux d'accès différents. L'un de ces accès, qui a été développé en lien avec le contrat doctoral ANR Ciné08-19 / École des chartes de Colin Baldet, fonctionne par l'intermédiaire d'une interface cartographique avec des entrées par villes, par lieux de tournage et par salles de projection. Pour l'instant, outre Paris, les utilisateurs de la plateforme peuvent accéder aux salles de projection de Bordeaux, Saint-Étienne, Nice, Metz, Perpignan et Grenoble.
Le porteur et coordinateur scientifique du projet Ciné08-19 est Laurent Véray, historien du cinéma, membre de l’Institut de Recherche sur le Cinéma et l’Audiovisuel (IRCAV) et professeur au département Cinéma et Audiovisuel de l’université Sorbonne Nouvelle.
Administrateurs de la plateforme :
Professeur au département Cinéma et Audiovisuel de l'université Sorbonne Nouvelle
Maîtresse de conférences HDR à l’université Gustave Eiffel
Docteur en histoire, textes, documents / École des Chartes- Université PSL
Maître de conférences à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3
Post-doctorante Ciné08-19 / GP archives
Directrice-adjointe du patrimoine cinématographique et directrice des collections du CNC
Professeur d'histoire du livre et des médias contemporains (Ecole nationale des chartes - PSL)
Maître de conférences à l’université Bordeaux Montaigne
Directrice de la Bibliothèque du Film de la Cinémathèque française
Contributeurs :
Manon Billaut , directrice de l'Institut Jean Vigo Cinémathèque de Perpignan, docteure en études cinématographiques de l’Université Sorbonne Nouvelle
Michel Cadé , professeur émérite de l'Université de Perpignan
Morgan Corriou , maîtresse de conférences à l’Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis
Hélène Fleckinger , maîtresse de conférences à l’Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis
Camille Gendrault , maîtresse de conférences à l’Université Bordeaux-Montaigne
Mélissa Gignac , maîtresse de conférences à l’Université de Lille
Ferdinando Gizzi , docteur en histoire des arts et du spectacle, Université de Florence
Marién Gómez Rodriguez , docteure de l’Université Sorbonne Nouvelle
Laurent Guido , professeur au département Cinéma et audiovisuel à l’Université Sorbonne Nouvelle
Hooman Hashemizadeh , doctorant à l’Université Sorbonne Nouvelle
Nicolas Kerrien , étudiant en master Cinéma et audiovisuel à l'Université Sorbonne Nouvelle
Anna Khachaturova , docteure de l’Université Sorbonne Nouvelle
Kira Kitsopanidou , professeure à l’Université Sorbonne Nouvelle
Laurent Le Forestier , professeur à l’Université de Lausanne
Fabrice Montebello , professeur à l’Université de Lorraine
Laura Portier , étudiante en master Cinéma et audiovisuel à l'Université Sorbonne Nouvelle
Coraline Refort , doctorante à l’Université Sorbonne Nouvelle
Anne Sigaud (✝) , chargée de recherche au Musée départemental Albert-Kahn
Pierre Stotzky , professeur d’histoire-géographie, doctorant à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Élodie Tamayo , maîtresse de conférences à l’ENS Lyon, docteure de l’Université Sorbonne Nouvelle
Partenaires :
Émilie Cauquy , responsable de la diffusion et valorisation des collections films de la Cinémathèque française
Claire Daniélou , conservatrice de la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris
Anne Dubois , chargée de médiation et d'action culturelle au Musée départemental Albert-Kahn
Véronique Pontillon , chargée des actions scientifiques à l'ECPAD
Rime Touil , conservatrice au département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France
Emmanuelle Toulet , archiviste paléographe, conservatrice générale honoraire des bibliothèques
Agnès Vatican , directrice des Archives départementales de la Gironde
Lélia Vienot , chargée de médiation et d'action culturelle au Musée départemental Albert-Kahn